Cette série de photographies a vu le jour dans ma cuisine, sur ma table à manger. Comme de nombreuses personnes, j’ai confectionné des masques pendant mes soirées de confinement. Des rectangles de 34 par 20 cm taillés dans une ancienne toile de coton retrouvée dans mon atelier. Elle avait servi, de 2004 à 2007, aux prises de vue photographiques de mon projet Postures. Les masques confectionnés, à l'aide de ma vieille Singer, ont été distribués au fur et à mesure, à du personnel ambulancier, du personnel et des animateurs d'EHPAD, des chauffeurs de taxis...
Dans un premier temps, face à la sidération de ce qui nous arrivait, j'ai trouvé refuge dans les gestes mécaniques, techniques et répétés de coudre cet objet nouveau. Et puis l'objet confectionné en dix, vingt, cinquante, cent exemplaires a pris une autre dimension. Je l'ai, au bout d'un moment, plus finement observé, manipulé, empilé et finalement photographié, lui qui était issu d'une toile de studio photo. Ces masques actuels, froids et terrifiants, parce qu'ils évoquent la distanciation, la maladie, ont pris un autre sens ainsi assemblés sur ma table de cuisine. Objet lié au corps mais non porté, plié sur lui-même, motif répétitif, matière malléable.
Il y a une certaine jubilation dans l'acte de cette série de photographies ; renouer avec ce qu'est aussi un masque : un jeu, une farce, la trace de traditions séculaires, de traditions théâtrales, transfiguration, déformation du corps pour se raconter, par le symbolique ou le fantastique, avec étrangeté, légèreté et sensualité.
MASK
 
nom masculin
(italien maschera, du bas latin masca)
 
Objet recouvrant et représentant parfois tout ou partie du visage, qui est porté dans diverses occasions de la vie sociale selon les peuples et les époques.
 
Pièce d’étoffe, morceau de velours, de satin, dont les dames se couvraient le visage pour protéger leur teint.
 
Objet représentant, généralement de manière symbolique, un visage ou une gueule animale, revêtant une valeur sacrée et porté ou exhibé dans l'accomplissement de
cérémonies religieuses dans diverses sociétés. Masque eskimo, indien, africain, océanien...
 
Objet représentant un visage ou une gueule animale, qui symbolise un affect, un comportement ou un rôle, porté par les acteurs de théâtre dans diverses cultures. Masque antique, grec, tragique, comique; commedia dell'arte; masque japonais...
 
Modelé, traits (expressifs) du visage.
 
Attitude, comportement feint, affecté par quelqu'un.
 
En théâtre et chant, l’ensemble composé du pavillon pharyngo-buccal et des cavités nasales intervenant comme résonateur dans la production de la voix.
 
Moulage exécuté sur une empreinte en creux prise sur le visage d'une personne vivante ou morte.
Masque mortuaire, funéraire.
 
Jeter, lever, tomber le masque.
 
— Laure Delamotte-Legrand, le 4 mai 2020
MASK
 
Série photographiques
Impressions sur Dibond
Le Phare, CCN du Havre Normandie
 
" Comme d’autres, Laure Delamotte-Legrand s’est mise à sa machine à coudre ; à fabriquer des masques, dans sa cuisine, confinée. C’étaient des masques nécessaires, solidaires, fonctionnels, dérisoires, peut-être attristants dans la froideur des distanciations obligées. Mais chez Laure Delamotte-Legrand, toute action physique, et tout objet, tendent au déplacement.
 
Cette artiste connue au Havre, est architecte de formation. Or elle s’exprime surtout comme plasticienne – vidéaste particulièrement. Souvent, elle collabore avec des artistes de la danse (dont Emmanuelle Vo-Dinh). Ainsi, la démarche de Laure Delamotte-Legrand, même sous la forme d’un tirage photographique, n’est jamais figée, arrêtée. Toujours elle porte la marque vibrante du geste, le souffle d’une traversée soucieuse de l’espace, l’attention portée à un contexte.
 
Sous ses doigts, les masques anti-Covid, pliés, dépliés et repliés, empilés et rempilés, se sont mis à bouger. Forcément. Il y a tant de sens à y rattacher : masque théâtral, cérémonial, magique, mortuaire, comportemental. Et tant, et tant. Cela jusqu’au jeu – puisqu’on parle aussi de spectacle – de façonner des images de masques avec des masques. Alors déjouer toute logique d’enfermement."
 
Gérard Mayen